L’oracle et l’étoile, le 9ème épisode des Mystères de Kioshe

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L’é.pi.so.de 9 😱 J’avoue que ça m’a fait quelque chose de lire l’épilogue de cet épisode. Cela fait un peu plus de 2 ans que je bats le pavé des rues de Kioshe en compagnie de Tirséa, Ziûrn, Ivriane (et pour cette saison Cérvéris). Sylvie a développé une histoire qui – vous le verrez – prend à rebrousse-poil quelques mythes de la fantasy et elle a surtout une nouvelle fois noué le destin de Tirséa comme jamais auparavant.

Comme d’habitude, vous pourrez découvrir le prologue de L’oracle et l’étoile plus bas 👇, mais avant ça je vais vous parler des mois à venir.

Tout d’abord, le projet des Mystères a pris un peu de retard car l’écriture d’un roman d’espionnage steampunk pour les éditions Bragelonne est passé par là. Si tout se passe bien le Grand Jeu (c’est le titre de ce roman) sortira au premier trimestre 2021. Dans les prochains jours, je vais m’attaquer à ma deuxième incursion dans le Paris des merveilles de Pierre Pevel puis je conclurai la saison 2 des Mystères de Kioshe avec un épisode qui promet d’être épique. Comme vous le voyez, l’actualité des 3 premiers mois de 2021 va être riche.

À très bientôt, et encore une fois merci de suivre mes aventures en écriture.

L’oracle et l’étoile, le 9ème épisode des Mystères de Kioshe

Couverture de l'oracle et l'étoile

Le carillon d’un beffroi égrena le signal de la troisième heure d’Aliscande. Borlach déploya sa carcasse et regarda le ciel virer à l’or à travers les fenestrons qui peinaient à éclairer sa loge. Encore une journée morne. Depuis la seconde disgrâce de Mortevue, plus personne n’empruntait la discrète poterne dont il avait la garde. Le vieux gardien jeta un châle élimé sur ses épaules et sortit en clopinant. Il était l’heure de sceller le passage et, pour lui, de se rendre à son rendez-vous quotidien. Borlach se plia en deux pour passer à travers l’ouverture percée dans l’enceinte et se retrouva dans la venelle qui bordait le mur de la Maison des curiosités. Le sable, omniprésent depuis la tempête surnaturelle qui avait balayé Kioshe, s’amoncelait au pied des murs et gêna la fermeture du battant. Borlach vérifia qu’il était seul et enfonça une série de pierres mobiles dans le linteau sculpté de la porte. Celle-ci se fondit dans les moellons qui l’entouraient et disparut.

Le quartier des mille échoppes baignait dans une atmosphère en demi-teintes. La cacophonie industrieuse de la journée avait cessé. Les boutiques fermaient, des volets de bois claquaient sur les étals que l’on rentrait. Des portefaix attardés se hâtaient en ployant sous leur charge. Les commerçants balayaient devant leur boutique, rejetant dans la rue le sable qui s’y était insinué tout le jour durant. Quelques passemorts opportunément reconvertis passaient avec une charrette pour offrir de l’emporter contre une poignée d’ékels. Borlach contourna la paroi fumante d’un ruchier, franchit une rue déserte où un apprenti en galoches manqua de le bousculer dans sa course, et déboucha sur le Cours des caravanes où il fut happé par le brouhaha. Le Cours ne dormait jamais. De jour comme de nuit, les caravanes montaient des portes pour y déverser un flot continu de marchandises qui s’échangeaient à la criée à grand renfort de harangues et railleries. Borlach observa un moment le va-et-vient des marchands, des charrettes à bras, des obaks au long cou. Il avait beau dominer largement la cohue, son boitement le poussait à la prudence. Il guetta un espace, traversa d’une traite et alla chercher refuge dans le lacis de ruelles du Fond.

La vie nocturne s’y était déjà déployée avec son cortège de rabatteuses, de saltimbanques et d’individus louches. Borlach s’arrêta près d’une cuisine nichée sous des passerelles menant vers les hauteurs du quartier et y acheta une jatte de légumes cuits aux épices dont l’odeur poivrée lui fit monter la salive aux crocs. Un peu plus loin, un grand dôme aveugle se trouvait enclos dans l’architecture fantaisiste du Fond, envahi de cabanes précaires et d’échelles à se rompre le cou. Borlach alla jusqu’à l’entrée du bâtiment, une simple ouverture en arcade qui s’enfonçait dans l’obscurité. Il tapa ses semelles contre les montants du seuil pour les débarrasser de la poussière qui les poudrait et, ce faisant, posa sa main libre sur la paroi de terre battue. La sourde vibration qui l’animait lui procura la sensation de retrouver son foyer.

Les habitants du Fond appelaient cet endroit le Tertre aux ogrillons. Pour les ogres, c’était le Burul’ch, ce qui signifiait plus ou moins « bedaine » dans leur langage guttural. La majorité de leur communauté y logeait dans l’épaisseur de ses parois, comme dans le ventre de la Terre dont ils se croyaient issus. Chaque soir, les membres de leur peuple venaient y célébrer la fin du jour, un moment qui n’appartenait qu’à eux et dont aucun des maîtres qu’ils servaient, du truand gobelin au patricien des Tours blanches, n’eût songé à les priver : ces deux heures de liberté, depuis le crépuscule jusqu’à l’arrivée au zénith de la petite étoile Samrin, leur appartenaient par contrat.

Borlach déboucha sous le dôme. Un bourdonnement grave émanait de son centre : les anciens avaient commencé à se réunir sous le trou circulaire où le ciel s’assombrissait. Il déposa ses légumes sur l’une des longues tables à tréteaux qui faisaient le tour de la salle, salua quelques connaissances, et rejoignit le groupe où il trouva un creux pour s’accroupir entre une grand-mère chenue et un vieux palefrenier qui sentait encore l’odeur chaude de l’écurie. Ses genoux claquèrent en se pliant maladroitement. Borlach ferma les yeux et laissa le son l’envahir, une vibration basse, ample et régulière, qui en quelques instants détendit son corps et dénoua son esprit du quotidien pour l’immerger dans la communauté. Lorsqu’il fut prêt, il tira du fond de sa gorge le même roulement grave et se joignit au chant. D’autres voix prirent leur place à sa suite, parfois plus éraillées ou avec moins de souffle, mais chacune sur la même note solennelle. Puis, lorsque la trame sourde eut atteint suffisamment d’ampleur, de nouvelles notes vinrent s’y greffer. Le cri puissant d’un porteur aux larges épaules, le défi syncopé d’une mercenaire, la tessiture ronde et affectueuse d’une jeune mère, le timbre mal formé d’un adolescent gouailleur. Ils apportaient un son, quelques mots hachés, une mélodie, repartaient, revenaient plus tard. En contrepoint, un chœur de voix claires et facétieuses s’élevait : celui des enfants. Chaque soir, les adultes racontaient l’histoire du peuple ogre et de sa résignation face au cycle immuable, tandis que les enfants évoquaient Samrin, esprit chétif et railleur, qui tantôt leur jouait des tours, tantôt leur venait en aide, mais toujours s’opposait à la menace que représentaient les Dhals. Au cours des siècles, les Dhals avaient pris bien des visages, en commençant par les mages déments qui avaient jeté les ogres dans l’Histoire en les asservissant. Puis ils étaient revenus, encore et encore, sous le masque de nouveaux conquérants, de nouveaux maîtres, de nouvelles servitudes. Imranes, Janerkis, Syndras, Hyrdrians… Et toujours, en contrepoint, Samrin avait sapé leur puissance à petits coups et les empires s’étaient effondrés. C’était lui, l’Avorton divin, qui avait appris le chant aux ogres, pour qu’ils se souviennent du cycle et sachent reconnaître les Dhals à leur prochaine incarnation. Ce chant était un talisman impalpable, rétif au joug, capable de passer de génération en génération tant que les communautés ogres se rassembleraient le soir pour chanter le passé et y voir le miroir de l’avenir. Il ne les protégeait pas de l’asservissement, mais il leur permettait de voir plus loin.

Le chant culmina, porté par le chœur d’enfants souligné du roulement guttural des anciens. Il s’acheva dans leurs éclats de rire moqueurs, comme un pied de nez au destin. Alors que les dernières notes résonnaient, tous les visages se tournèrent vers le sommet du dôme pour apercevoir Samrin au moment où son éclat y apparaissait. Un frisson secoua les échines, frappant les ogres d’une terreur sacrée. Derrière le faible clignotement de leur étoile tutélaire, un vilain astre rouge sang s’était levé et l’étouffait de sa lueur malsaine. L’œil des Dhals était de retour.

La suite est à retrouver dans L’oracle et l’étoile, le 9ème épisode des Mystères de Kioshe

A propos de l'auteur

Benjamin Lupu

Historien de formation, passionné de sciences humaines, d'archéologie et des littératures de l'imaginaire, Benjamin Lupu est l'auteur des Mystères de Kioshe, a participé au recueil des Contes et récits du Paris des merveilles dirigé par Pierre Pevel et a publié Le Grand Jeu, un roman d'espionnage steampunk se déroulant à Constantinople.

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