L’écriture du Grand Jeu, un roman d’espionnage steampunk

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Bien sûr, chaque roman est une aventure pour son auteur avant de l’être pour les lecteurs et Le Grand Jeu, mon roman steampunk aux éditions Bragelonne, ne déroge pas à la règle. Avant sa parution (le 3 février 2021), j’ai voulu prendre le temps d’un regard en arrière sur ce qui a été un de mes défis, sinon le défi d’écriture 2020.

Alors quel steampunk ?

De par mes lectures, j’ai une meilleure connaissance de la fantasy et de la science-fiction. Comme pour beaucoup, le steampunk s’est d’abord s’est d’abord imposé à moi au travers de son esthétique, mélange réinventé d’un XIXe siècle spectaculaire, fantastique et fantasmé. Un peu à la manière d’un vaisseau en orbite autour d’une géante gazeuse ou une épée (si possible plantée dans un rocher), cette esthétique gratouillait mon imagination. Mais j’ai dû faire un chemin pour trouver « mon » steampunk.
En effet, le steampunk n’est pas différent des autres courants littéraires. C’est un spectre qui va du quasi-historique à l’imaginaire magique le plus total en passant par des pastiches d’œuvres (Sherlock Holmes, Jules Verne…). Il existe ce même éventail en fantasy où Moorcock (high fantasy) sera classé avec un Cerutti (fantasy historique) par exemple. D’autre part, le steampunk n’échappe pas à la richesse romanesque. On peut y convoquer des polars, de l’aventure, du politique, de la romance… Il n’y a qu’à voir ses dernières années des livres comme Olangar (de Clément Bouhélier), Les brigades du steam (de Cécile Duquenne et Étienne Barillier), l’homme électrique (de Victor Fleury) ou bien encore Sorcières associées (d’Alex Evans), sans parler bien sûr du Paris des merveilles (de Pierre Pevel). Même genre littéraire, autant de visions d’auteurs différentes (et tant mieux).

La naissance du Siècle rouge et noir

Pour faire surgir les péripéties de ce qui deviendrait Martina, Mortier, Maurice, Aron et tant d’autres, j’avais besoin de connaître leur environnement. J’ai donc commencé à noter ce qui me plairait : des machines, de l’action et un soupçon de complot. Le XIXe est riche de tout ça, mais j’ai très rapidement eu envie de raconter une époque différente et un lieu peu ou pas utilisé dans les romans steampunk. Au cours de mes tests d’uchronies, celle d’un empire russe dont le tsar aurait disparu prématurément au profit d’une dictature industrielle aux accents d’URSS a remporté la palme. À partir de là, le roman d’espionnage s’est imposé avec ses parts d’ombre, ses courses-poursuites et ses gadgets. J’étais plutôt sur du Jason Bourne (mâtiné d’Ocean Eleven), en toute modestie bien sûr 😅. Constantinople est venue plus tard, parce qu’un de  mes films préférés est le merveilleux Casablanca et parce que le destin de l’empire ottoman dans ces années là est grandiose. À partir de ce cadre baptisé le Siècle rouge et noir, mes personnages ont pu prendre leur envol dans ce nouveau XIXe siècle tourmenté. J’avais aussi arrêté mon choix sur « mon » steampunk. J’allais résolument me tourner vers un siècle mécaniste et industriel en avance sur son temps. Le Nouvel empire russe serait le ventre de créations de science fiction, faisant faire au monde un bond dans le futur à la place des puissances traditionnelles de la Révolution industrielle.

La naissance du projet

Le Grand Jeu est mon second roman et je savais que ça ne pourrait pas être un tome de milliers de pages. Maîtriser une intrigue à cette échelle demande de l’expérience et fidèle à mon mantra depuis les premiers Mystères de Kioshe, je recherche l’atteignable, notamment en termes de temps, en espérant progresser un peu à chaque fois. Je me suis donc fixé une histoire d’une centaine de scènes pour environ 450 000 sec. Autre décision importante, j’ai écrit un séquencier de toutes les scènes et je me suis fixé comme objectif d’avoir un retour de la part d’un éditeur avant de commencer à écrire. J’ai eu la chance de profiter de ce genre de retour de la part de Pierre Pevel sur ma nouvelle se déroulant dans le Paris des merveilles (Les Portes de l’Outremonde) et cette correction pré-écriture est très utile. J’ai aussi écrit un test d’une cinquantaine de pages « pour voir si ça marche ». J’avais brièvement parlé de mon idée à Stéphane Marsan (Directeur de publication aux éditions Bragelonne) aux Imaginales 2019 et je lui ai naturellement envoyé mon projet. Connaissant le déluge permanent que subissent les éditeurs, je suis passé sur le second volume des Mystères de Kioshe, en gardant bien au chaud le Grand Jeu pour un éventuel retour. Sauf que… le soir même, Stéphane me faisait le retour détaillé que j’attendais. La petite bande du Grand Jeu allait pouvoir prendre son envol.

La contrainte du temps

Nous étions en mai (2020), j’avais mon histoire bien en tête, restait à l’écrire avec le défi d’être prêt pour le Mois du cuivre 2021, c.-à-d. le mois de février pendant lequel Bragelonne sort ses romans steampunk. Je me suis rapidement dit que je ne pouvais pas partir sans avoir un moyen de mesurer si j’allais… arriver. C’était trop incertain, voire un chouille angoissant. Je suis habitué à quantifier mon travail puisqu’écrire n’est pas (encore) mon activité principale, mais pas à cette échelle. J’ai donc importé de mon travail de direction de projets plusieurs petits rituels quotidien permettant aux humains normaux d’affronter des projets longs et complexes, notamment deux :

  • Travailler à la semaine (sous forme de sprints ayant chacun un objectif précis comme l’écriture, la relecture, les recherches…)
  • Mesurer chaque jour l’avancée sous la forme d’un burndown chart

Ma plus grande inconnue était : est-ce que mon imagination serait suffisamment féconde en étant soumise à ce régime très contraint ? Une histoire a besoin de décanter, même si d’autres arts pratiquent le délai et le planning (série, cinéma…).
La difficulté n’est finalement pas venue de ce rythme imposé (même si c’est usant), mais de le subir seul. J’entends par là que ma famille était à mes côtés, mais j’étais isolé dans mon effort quotidien d’écriture. Donc assez vite, j’ai pu (du ?) me reposer sur des relectures et des échanges avec Sylvie Poulain (co-autrice des Mystères de Kioshe et amie) qui a lu et relu l’intrigue en formation en m’encourageant et commentant ce qui n’allait pas. Avec le recul, je doute qu’on puisse facilement supporter une écriture aussi contrainte sans échanges pour se réajuster et décompresser. (Stéphane Marsan a également accepté de recevoir le manuscrit au fur et à mesure, chose dont je le remercie car c’est finalement assez atypique.)

Alors voilà, le livre va paraître le 3 février et j’ai donc réussi. J’ai fini sur les rotules – dans un étrange mimétisme avec mes personnages –, mais le Grand Jeu est bien là et c’est un vrai bonheur. Ma vie d’écriture a ralenti depuis, j’ai dormi tout mon saoul et je me prépare à votre réception de ce qui a occupé une bonne partie de mon année 2020. J’espère que vous aimerez parcourir la Constantinople et la Russie que j’ai fait naître dans un siècle un peu différent.

A propos de l'auteur

Benjamin Lupu

Historien de formation, passionné de sciences humaines, d'archéologie et des littératures de l'imaginaire, Benjamin Lupu est l'auteur des Mystères de Kioshe, a participé au recueil des Contes et récits du Paris des merveilles dirigé par Pierre Pevel et a publié Le Grand Jeu, un roman d'espionnage steampunk se déroulant à Constantinople.

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