L’été a fini par arriver – on peut dire qu’il a pris quelques détours étranges – et j’avais à cœur de vous offrir un petit goût d’évasion avec un nouvel épisode des Mystères. C’est chose faite, La Balance d’Hermion vous attend 😇 Laissez-moi vous en parler un peu.
Vous le savez, j’écris la saison 2 des aventures de Tirséa et Ziûrn avec Sylvie (et si vous n’avez pas encore plongé, peut-être reste-t-il encore un peu de place pour les deux premiers épisodes dans votre valise numérique ?). Les Mystères sont aussi une aventure d’écriture et pour ce troisième épisode de la saison 2, on a tenté un pari qui j’espère vous plaira. Nous avons embarqué avec nous l’ami Thomas Mariani qui a accepté de se prêter au jeu pour un épisode haut en couleur. L’idée était d’avoir une aventure un peu à part, plus… bah plus… échevelée ? Drôle ? Enlevée ? Zinzin ? Bref, nous avions envie d’une sucrerie pour l’été et cette année bizarre (sans oublier ce qui fait le sel des Mystères bien sûr.) Voilà, c’est ça, nous voulions un Mystère sucré-salé 😀 Un grand merci à Thomas pour les éclats de rire à la relecture. Je me souviendrai longtemps de Cato. Je vous propose de découvrir le prologue savoureux de cet épisode. Alors, installez-vous dans votre transat préféré, boisson glacée en main, et repartez pour Kioshe !
Se détournant du bruit des cavalcades à l’extérieur, Ziûrn choisit un des tabourets du comptoir. Perdu pour perdu, autant qu’il profite des quelques instants qu’il lui restait pour se remplir la panse avec la bonne nourriture laissée à sa seule disposition.
En plus du petit pain aux épices qu’il avait déjà mis de côté, Ziûrn profita de ce que commerçants, cuisiniers et clients avaient tous fui l’échoppe pour se servir. Aux regards qu’on lui avait lancés en déguerpissant, le gobelin en avait déduit que la rumeur, devançant de peu la Garde, l’avait désigné comme la raison de la rafle en cours.
Qu’avait-il donc fait de travers récemment pour mériter un tel déploiement de forces ? Bon, beaucoup de choses en fait, mais « honnêtement », pas plus que d’ordinaire… alors quoi ?
À une autre époque, il aurait essayé de fuir sans chercher à savoir le fin mot de l’histoire, mais aujourd’hui, Ziûrn était devenu fataliste : les emmerdes finissaient toujours par le rattraper.
— Merci pour la leçon, Tirs ! marmonna-t-il en levant son pichet de vin à la santé de son ancienne associée.
Dehors, les bruits de la descente de la Garde se rapprochaient. Tourtes à la viande, fromages frais ou fermentés, et autres amuse-gueules disparurent à toute allure dans son gosier. Entre mastication et déglutition, Ziûrn poussa de petits grognements exprimant à la fois satisfaction du temps présent, et dépit quant aux moments à venir.
Il eut juste le temps de s’envoyer une dernière rasade de vin coupé au jus de sulot.
La porte d’entrée s’ouvrit avec fracas sur les plastrons en cuir bouilli sertis de fer, lances au clair, boucliers en avant. L’arrière-cuisine s’emplit du bruit d’une seconde escouade passée par la cour pour tuer tout espoir de fuite.
La subtilité légendaire de la Garde…
Ziûrn se contenta, sans geste brusque, d’enfourner son pain aux épices dans une poche de son surcot. Pour plus tard.
— On l’a trouvé ! hurla un garde, repris en écho dans la rue.
Les lances pointèrent toutes sur Ziûrn, faisant une corolle d’acier aiguisé autour de son cou.
— Gobelin ! beugla l’officier. T’es en état d’arrestation !
— Heureusement qu’vous précisez… grommela Ziûrn.
Le captif, fers aux pieds et aux poignets, fut traîné à travers les ruelles du Fond, jusqu’à la Corde où les carrioles se remplissaient des habitants louches de ce quartier de Kioshe, c’est-à-dire à peu près tout le monde.
Ces rafles faisaient partie du folklore local. On cherchait un seul individu, mais la Commanderie du Fond, en embarquant tout le monde, rappelait son autorité. La grande majorité des interpellés savaient avoir une forte chance d’être relâchés sous peu, le commandeur n’aimant pas voir ses geôles surpeuplées trop longtemps.
Quelques-uns arboraient malgré tout une mine plus sombre, la liste de leurs méfaits récents risquant de les envoyer pourrir dans les cachots de la ville. Alors qu’ils montaient dans les véhicules attelés de la garde, une même litanie muette était reprise en chœur par toutes ces âmes à la conscience trouble :
« Pas les Fosses, pas les Fosses ! Durk, n’importe où, mais pas les Fosses ! »
— Commandeur ! cria l’officier en poussant le gobelin vers son supérieur. Regardez qui se planquait à deux rues d’ici !
— M’planquais pas, m’restaurais, grogna Ziûrn. J’suis innocent. I-NNO-CENT, JE VOUS DIS !
— Pourquoi brailles-tu, Ziûrn ? releva le commandeur. Personne ne t’a encore accusé de quoi que ce soit.
Ziûrn n’eut qu’un regard noir à retourner à Cérvéris. Du menton, il désigna l’agitation autour d’eux.
— Et tout ça, c’est la nouvelle campagne d’recrutement des fidèles de la Bienheureuse p’t-être ? Laissez-moi deviner : un rupin des Tours blanches s’est encore fait piquer une babiole ?
— Tu es loin du compte, l’ami. Viens !
Cérvéris poussa Ziûrn en direction d’une voiture bâchée de rouge, stationnée à l’écart de la cohue et des premiers départs de carrioles.
Le gobelin aperçut à l’intérieur quatre hommes habillés de noir, et dont l’air abattu trahissait la détresse de s’être fait prendre la main dans le sac pendant la nuit. Dès qu’ils virent Ziûrn, les voleurs le pointèrent du doigt en vociférant.
— C’est lui ! C’est le gobelin ! On le reconnaît ! Il nous a engagés ! Et doublés ! C’est lui !
— Silence ! tonna le commandeur. Combien de fois, à votre avis, un suspect m’a bavé « c’est-pas-moi-c’est-un-gobelin » ?
Puis il se tourna vers Ziûrn.
— Eux, je les arrête pour le larcin qu’il y a eu effectivement aux Tours blanches cette nuit, et pour lequel ils semblent s’être fait doubler puisqu’ils n’ont plus le bijou. Un magnifique rubis, paraît-il.
— Ça arrive, lâcha Ziûrn, faussement fataliste.
Cérvéris fit un signe au conducteur, et le chariot s’ébranla, remplacé par un autre véhicule.
— Toi par contre, précisa le commandeur, tu es officiellement recherché pour l’effraction d’un sanctuaire sacré et le vol de la Balance d’Hermion.
Ziûrn ouvrit de grands yeux. Dépouiller le sanctuaire d’un dieu ! Et surtout celui des marchands !
— Mais… mais… Cérvéris, balbutia Ziûrn, jamais j’m’en prendrais au Pourvoyeur, ’suis pas fou !
— Tu as été dénoncé.
— Qui… qui bave qu’c’est moi ?
À la mine sombre du commandeur, Ziûrn comprit que ça sentait très mauvais pour lui. Profaner un temple valait une exécution sur la place publique, sans autre forme de procès. Et tout ça pour un crime dont il était innocent ! Vraiment innocent !
Cérvéris fit monter Ziûrn dans la nouvelle carriole et baissa la voix afin que seul le gobelin puisse l’entendre.
— En souvenir des épreuves qu’on a partagées il y a peu, je te mets le vol du rubis sur le dos et t’envoie directement en prison pour brouiller les pistes, plutôt que de te livrer aux prêtres d’Hermion.
Le commandeur, à défaut de lui sauver la vie, lui offrait un sursis.
— C’est tout ce que je peux faire pour l’instant, dit Cérvéris en plaçant lui-même les pieds du gobelin dans les fers disposés à cet effet. Terre-toi au fond d’une cellule. Fais-toi oublier aussi longtemps que possible.
Le gobelin le remercia d’un signe de tête.
— Aux Fosses ! ordonna le commandeur au conducteur en sautant de la voiture.
— Sang de Durk ! Les Fosses ? cria-t-il à Cérvéris. Vraiment ? Il fallait que ce soit les Fosses !
La carriole s’ébranla vers sa funeste destination.
La suite dans La Balance d’Hermion, le 8ème épisode des Mystères de Kioshe