Prologue au Cirque de la lune, ma nouvelle dans le Paris des merveilles

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Enquêteurs du Paris des merveilles est sorti ! Vous pouvez dès maintenant découvrir la troisième anthologie consacrée à cet univers féérique créé par Pierre Pevel qui réinvente le Paris de la Belle époque.

J’ai eu la chance d’y faire une nouvelle incursion après Les Portes de l’OutreMonde, parue dans Contes et récits du Paris des merveilles, en 2019 (maintenant disponible en poche). Cette fois, vous y retrouverez Cécile de Brescieux à qui la reine Méliane a confié les enfants perdus de l’OutreMonde. Lorsqu’une de ses protégées disparaît, Cécile se lance à sa recherche de la Bretagne à Paris.

Pour fêter cette nouvelle parution, j’ai concocté un petit prologue exclusif à la nouvelle, histoire de vous appâter de manière éhontée 😉 Bonne lecture !

Lampe tempête en main, Riwal se tenait à la proue de sa bisquine. Devant lui, le grand espar faisant un éperon au navire, fendait le brouillard épais qui venait de les plonger dans une obscurité inquiétante alors que, quelques instants auparavant, ils naviguaient encore par temps clair. Sous ses pieds, le pont tanguait et craquait doucement au gré d’une houle anormalement calme. Par intermittence, la toile de la grand-voile claquait mollement et quelque part sur sa droite, Joakim récitait un « Seigneur, ayez pitié ».

— Jo, tais-toi et laisse donc le Père tranquille, trouillard ! lui intima Riwal, agacé.

Pourtant, à lui aussi les volutes grisâtres ne lui disaient rien qui vaille. Voilà un mois qu’ils avaient commencé leurs étranges allers et retours, mais jusqu’alors, cela avait toujours été en journée. Ce soir, ça serait leur dernière course et elle avait lieu de nuit. Riwal avait l’intuition qu’elle serait aussi la plus dangereuse, bien loin des contrebandes habituelles.

Le jeune homme leva la lanterne au niveau de ses yeux et cogna au carreau. La petite fée aux formes rondelettes qui s’y trouvait se retourna en battant de plus belle de ses ailes. La douce lumière dorée qu’elle émettait vira au bleu et se fit plus intense.

— Alors ma mignonne, j’espère que tu sais à quelle noce tu nous emmènes ?

La fée hocha la tête d’un air béat et pointa du doigt vers l’avant. Puis elle sembla réfléchir, eut une moue confuse et secoua les mains en signe de dénégation. Le cœur de Riwal manqua un battement.

— Ah non, me dit pas…

Le visage minuscule de la fée s’illumina à nouveau et elle désigna la direction bâbord à Riwal.

— T’es sûre cette fois ?

La fée se renfrogna.

— Holà, te fâche pas !

En lui remettant la lanterne, Rancy l’avait prévenu que les fées lucioles avait un tempérament inversement proportionnel à leur taille, en plus d’être pour la plupart de parfaites têtes de linotte. Mais aujourd’hui, pour le meilleur ou le pire, elle serait leur boussole. Ils avaient eu la garantie qu’elle saurait les mener à bon port et l’ajout opportun de quelques louis d’or avait fini de vaincre la peur superstitieuse d’embarquer une femme, si petite soit-elle.

— C’est juste qu’à mon avis, on s’perd qu’une fois dans les parages, ajouta Riwal, avant de crier à l’attention de son barreur, Noé, on vire à bâbord !

— À bâbord toute, capitaine ! lui répondit-il depuis la proue où il officiait à la barre franche du gouvernail.

Riwal sentit la bisquine partir sur la gauche quand un coup sourd ébranla la coque.

Kaoc’h ! C’était quoi ça ? jura Joakim d’une voix qui dérailla dans les aigus.

Un marin se précipita regarder par-dessus le bastingage.

— On a touché un sec ! s’exclama-t-il. Faut dire qu’on y voit goutte aussi !

Riwal se pencha à son tour par-dessus bord. Il doutait qu’il y eut des récifs dans les parages. C’était autre chose. Il en eut la confirmation quand la lueur de la lanterne éclaira brièvement les eaux noires en contrebas et qu’il aperçut un long corps luisant et blafard se profiler juste sous la surface. Une crête membraneuse hérissée de pics affleura quand le monstre plongea dans les profondeurs de l’océan. Dans la lampe, la fée luciole s’affola.

— Tiens-toi tranquille, j’ai c’qu’y faut !

Riwal fouilla de sa main libre dans la poche ventrale de sa vareuse. Ses doigts gourds en sortirent ce qui ressemblait à une petite bouteille de parfum décorée d’une treille dorée et renfermant un liquide bleu électrique. Du pouce, il fit basculer le bouchon de cristal retenu par une charnière et commença à en verser le contenu dans la mer.

— Qu’est-ce que c’est, capitaine ? demanda, curieux, le marin dans son dos.

— De la gnôle, répondit Riwal, de la gnôle pour les grosses bêtes à ce qu’on m’a dit.

Conservez-en un peu si vous deviez rencontrer de la résistance, lui avait conseillé Rancy. Aussi Riwal prit soin de garder un fond avant de reboucher le flacon et de le ranger. Quand il l’avait reçu, il n’avait pas résisté et avait humé l’étrange liqueur. Aussitôt la terre s’était mise à tanguer comme un jour de tempête et Riwal avait rendu son déjeuner. Quoi que ça puisse être, ça n’était pas fait pour les humains.

Là où le liquide s’était dilué, l’eau se mit à bouillonner. Les anneaux d’un grand serpent ondulaient furieusement et une mâchoire effilée plantée de trois rangées de dents acérées émergea pour s’ouvrir en grand en laissant pendre une langue rosâtre. Elle s’éleva d’un bon mètre et Riwal ne put retenir un mouvement de recul. Puis le monstre perdit de sa vigueur et se laisser couler lentement. Une fois son mufle disparu et l’eau apaisée, le jeune homme s’aperçut qu’il retenait encore sa respiration et qu’il était trempé d’une sueur glacée. Dans la lanterne, La fée était prostrée au sol et s’efforçait de ne plus émettre qu’une pâle lueur.

— C’est bon, il… enfin ça… c’est parti, petiote, la rassura Riwal.

Mais la fée ne réagit pas. Aussi, entreprit-il de la cajoler tant bien que mal pour qu’elle lui indique la route à suivre, mais rien n’y fit. La colère assombrit brusquement le regard de Riwal quand il perdit patience. Il se mit à secouer violemment la lanterne en hurlant.

— Baisse ton pavillon, la mijaurée ou ch’te donne à bouffer aux poissons, tu m’entends !

Tremblante sous le regard enragé de Riwal, la fée pointa droit devant. Pile à ce moment, une trouée fugitive dans le brouillard dévoila la masse sombre de leur destination. Riwal poussa un soupir de soulagement.

— Bien, j’préfère ça, ma mignonne. Tu vois, y a pas besoin qu’on s’embrouille toi et moi. T’es en sécurité avec nous, susurra-t-il, redevenu charmant.

A propos de l'auteur

Benjamin Lupu

Historien de formation, passionné de sciences humaines, d'archéologie et des littératures de l'imaginaire, Benjamin Lupu est l'auteur des Mystères de Kioshe, a participé au recueil des Contes et récits du Paris des merveilles dirigé par Pierre Pevel et a publié Le Grand Jeu, un roman d'espionnage steampunk se déroulant à Constantinople.

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